Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
Comment la Terre s’est-elle différenciée il y a environ 4,5 milliards d’années ? Des chercheurs testent une nouvelle technique de tomographie à des rayons X dans des expériences utilisant des cellules à enclumes de diamants. Cette technique donnera peut-être la clé du mystère de la formation du noyau ferreux de la Terre.
La Terre s’est formée selon un processus d’accrétion il y a environ 4,5 milliards d’années. Les petits corps célestes qui sont entrés en collision avec la protoTerre en formation et qui ont contribué à sa croissance n’avaient pas tous la même composition. Cependant, la Terre qui en a résulté devrait présenter une composition relativement homogène. Or, ce n’est pas du tout l’image de la Terre actuelle que les informations géophysiques, déduites par exemple de la sismologie, ont permis d’établir. On sait ainsi que la Terre possède un noyau métallique formé pour l’essentiel de fer et de nickel, que recouvrent un manteau puis une croûte riches en silicates.
Pour expliquer cette différenciation, il faut tenir compte du fait que notre planète est un astre chaud. Le fer et le nickel contenus dans les roches primitives formant la Terre auraient ainsi fondu et chuté en quelques dizaines de millions d’années seulement vers le centre de la Terre, sous l’effet de la gravité.
Du fer qui percole ?
Il est bien naturel pour des éléments lourds dans un magma en fusion de plonger alors que des éléments plus légers vont monter en surface. Le problème est que le manteau de la Terre n’a pas été totalement en fusion. Il faut donc faire intervenir un processus de percolation du fer et du nickel fondus à travers des roches silicatées solides. Or, ce processus de percolation ne va pas de soi et dépend des conditions de pression et de température existant à l’intérieur de la Terre.
Schéma de principe d'une expérience de diffraction des RX en cellule à enclumes de diamant. © Philippe Gillet
L'intérieur de la Terre à la pointe des diamants
Pour vérifier cette théorie et mieux comprendre le processus de percolation supposé, les géophysiciens du solide recréent ces conditions de pression et de température pour de petits échantillons de matière à l’aide de cellules à enclumes de diamants.
On se sert ainsi de deux diamants laissant passer de la lumière laser pour chauffer ces échantillons soumis à des pressions de plus d’un million d’atmosphères. Parallèlement, on peut utiliser des faisceaux de rayons X pour faire des expériences de diffraction avec les échantillons dans les enclumes et réaliser de l'imagerie. L'utilisation des cellules à enclumes de diamants a aussi permis de mieux comprendre le comportement de divers matériaux, comme l'oxygène solide ou l'europium, dans des conditions de hautes pressions.
Des chercheurs du SLAC, dont la physicienne Wendy Mao, sont en train de développer une nouvelle technique de tomographie à l’échelle nanométrique avec des rayons X pour reconstituer à l’ordinateur la structure en 3D des échantillons soumis à de hautes pressions (rappelons que la tomographie crée une image tridimensionnelle en combinant une série d'images à deux dimensions, ou de sections, d’un objet. Un logiciel interpole ensuite les images pour recréer l'objet en 3D). Lors de la rencontre annuelle de l’American Geophysical Union, il a été question des résultats obtenus, exposés dans l'article Visualizing Earth's Core-Mantle Interactions using Nanoscale X-ray Tomography.
Des signes encourageants
Jusqu’à présent, les expériences utilisant les cellules à enclumes était réalisées à des pressions trop basses pour vraiment sonder la physique des zones les plus profondes de la Terre lors de sa différenciation. Et justement, le processus de percolation escompté ne semblait pas se produire, rendant énigmatique la formation du noyau de la Terre et forçant peut-être à reconsidérer la théorie de sa formation par accrétion homogène.
Les chercheurs laissent entendre qu’ils voient maintenant des signes plus favorables à cette percolation, sans pour autant disposer encore de la preuve que celle-ci pouvait bel et bien se produire. Ces signes encourageants n’ont pu être obtenus que parce que la nouvelle technique permet d’atteindre une plus grande précision dans les mesures des interactions entre le fer liquide et les silicates solides à hautes pressions et températures.