leona admina
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| Sujet: Harry Martinson (Suède ) Jeu 3 Mar - 16:19 | |
| Harry Martinson (6 mai 1904 – 11 février 1978) est un écrivain et poète originaire de la province de Blekinge dans le sud-est de la Suède. Il appartient à la mouvance des écrivains prolétariens (Eyvind Johnson, Ivar Lo-Johansson, Martin Andersen Nexø…). En 1949, il est le premier écrivain issu de la classe populaire à être élu à l'Académie suédoise. En 1954, il est nommé docteur honoris causa de l'université de Göteborg. En 1974, il reçoit le Prix Nobel de littérature en association avec son compatriote Eyvind Johnson. Ce Prix Nobel fut un choix controversé dans la mesure où les écrivains Graham Greene, Saul Bellow et Vladimir Nabokov étaient les candidats favoris cette année-là et que les deux auteurs primés étaient déjà membres de l'Académie suédoise qui attribue cette récompense. (source wikipédia). Son roman La société des vagabonds raconte l'histoire d'un homme qui décide de prendre la route plutôt que de vendre son âme au travail. C'est un roman plein de poésie, dépeignant la vie quotidienne de ces vagabonds qui à l'époque risquaient de se retrouver en prison pour ce crime . citation:- Spoiler:
"À la fin du XIXe siècle dans une Suède désertée par ses habitants pris dans le mirage du rêve américain, Bolle est un artisan cigarier qui prend à cœur son métier. Mais la machine arrive et Bolle refuse de se retrouver ouvrier à la chaîne. Il part sur les routes. Commence alors le récit de ses pérégrinations à travers le pays, ses aventures, ses rencontres, ses expériences… sources de réflexions philosophiques qui vont nourrir son point de vue sur l’humanité.
Harry Martinson a nourri de sa vie de trimardeur ce roman des « vagabonds du travail », rappelant aux bonnes âmes qui distribuent le pain « avec des tartines de morale » que les dépossédés ne sont coupables que d’avoir conservé la mémoire de leur dignité dans les intempéries sociales et le déracinement."
Une critique de télérama - Spoiler:
« Pourquoi diable prend-on la route, ah ça, ce n’est pas facile à dire. C’est bigrement peu confortable et pas commode du tout […] C’est autre chose, qui fait qu’on prend la route, mais je ne peux pas te l’expliquer. » Au nord de la Suède, l’automne vient de s’installer. À l’abri d’une grange, pour se protéger du vent, Bolle le vagabond tente d’apaiser les interrogations d’un jeune homme qui vient tout juste d’« entrer dans le métier ». Pourquoi diable prend-on la route ? La question court tout au long de ce singulier roman, vous prend pour ne plus vous lâcher, vous bouscule et vous imprègne. Elle enfle de page en page, s’insinue, sème le doute, provocatrice, profondément subversive. Parce que l’auteur, le Suédois Harry Martinson (1904-1978), prix Nobel de littérature en 1974, n’en fait pas simplement la clé du destin de son héros, mais un enjeu essentiel, philosophique et spirituel. Pourquoi donc prend-il la route, Bolle le vagabond ? En février 1898, quand commence le livre, il travaille dans une fabrique de cigares dont les méthodes artisanales – l’art des cigariers – sont peu à peu écrasées par l’arrivée des techniques industrielles. Bolle refuse ce progrès-là qui l’obligerait à se soumettre à une machine. Quelques pages plus loin, l’auteur le retrouve se baignant dans la fraîcheur d’un lac. Il a tout quitté « pour que la joie d’exister lui vienne directement du soleil et de la lune ». Pas de romantisme pourtant dans cette défense du vagabondage. Pas d’idéalisation de la condition du chemineau, aucun hymne à la liberté retrouvée. Au contraire. Martinson brosse le tableau quotidien de ses difficultés, la faim et le froid, la peur qu’il allume dans le regard des autres, sa propre peur, en retour, qu’on se trompe sur son compte, qu’on le soupçonne, de vol, de crime ou de viol, lui, l’inconnu, le marginal. La crainte aussi des « montés », les gendarmes à cheval, synonymes souvent d’un séjour au bagne. Des mois à casser des cailloux. Le bonheur, pourtant. Par bribes. « Les raisons d’arpenter les routes du pays, année après année, se comptaient par milliers », écrit Martinson dont toute l’œuvre, poèmes et prose, célèbre la vie dans sa simplicité, la beauté du monde et de la nature, l’inscription de l’homme dans le cosmos. Et Bolle de chanter l’irrésistible attrait de la forêt, cette façon de « se dissimuler derrière elle-même », de promettre sans cesse, d’arbre en arbre, de crête en crête, quelque chose de nouveau, quelque chose de caché. À l’instar du chemin dont chaque tournant est une invitation à continuer la route. Et Martinson d’ensemencer les rêves de ses lecteurs avec la simple description d’« un soir doré au bord du lac Väner ». Mais la route, emblème des vagabonds et des poètes, est aussi pour Martinson, figure éminente de la génération des écrivains « prolétariens », le symbole du refus d’un certain ordre social. Les hommes qu’il met en scène « font la grève pour de bon ». La « paresse » qu’on leur reproche est une « grève dirigée contre le travail obligatoire conçu comme un tourment, contre une hypocrisie qui s’est donné le nom d’“honneur du travail” ». La Société des vagabonds, son dernier texte en prose, publié en 1948, est ainsi au cœur de son oeuvre, de son combat pour l’homme contre la course au matérialisme. Alliant récit documentaire, fiction et puissance poétique, il reste largement à découvrir en France. Sa réédition, après celle de l’autobiographie de son auteur, est une formidable occasion. Michel Abescat Télérama, 03-09/07/2004 Un extrait ci-dessous :
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Il était de nouveau temps de mendier et Bolle jeta un coup d’œil à Poussière des Chemins, qui marchait de l’autre côté de la route, pour voir s’il ne lui adressait pas des signes. C’était son tour, mais Poussière des Chemins ne faisait mine de rien. Bolle attendit encore un moment et dit, après un nouveau délai : — Je crois que je vais aller mendier un peu. — Vas-y, dit Poussière des Chemins. Moi, je n’ai pas l’intention de manger aujourd’hui. — Eh bien, comme tu voudras, dit Bolle. Je vais mendier tout seul, je rapporterai quelque chose et nous verrons bien si tu ne changes pas d’avis. Ils font du si bon pain ici, dans le Västergötland. Ils s’y connaissent dans l’art de cuire le pain. — Je m’en fiche, dit Poussière des Chemins. Aujourd’hui, c’est mon jour de rêverie. — Ça se voit, dit Bolle. Comme tu voudras. Mais tu es un peu lunatique, tu sais. Quand nous marchions dans la commune de Vilhelmina, l’année dernière, tu t’es mis dans la tête de te nourrir de canneberges, uniquement pour ne rien devoir à personne. Tu disais que tu allais vivre comme on le faisait jadis, à la campagne. Mais il n’y a jamais eu personne, même dans la campagne de jadis, qui se soit nourri uniquement de canneberges. Tu l’as compris quand tu as ressenti des brûlures d’estomac et que tu as été obligé de rester couché dans cette grange, au milieu du marécage, à te lamenter toute la nuit à cause de ton mal d’estomac – et nous n’avions pas de bicarbonate, contrairement à notre habitude. Tu es beaucoup trop romantique et trop patriote. Tu veux vivre si simplement que tu frôles parfois la limite du possible. Mais je n’admets pas ça, tu comprends. Nous ne pouvons pas vivre plus simplement que nous ne le faisons. Si nous réduisons encore nos prétentions, nous creuserons nous-mêmes notre tombe. Nous ne pouvons pas être plus modestes. Nous payons le prix. Et tu as attrapé une indigestion d’histoire de Suède. Tu ne devrais pas transporter partout ton livre d’histoire. Prends plutôt le catéchisme de Luther et tu verras. Il ne nous donnera raison en rien. Il regarda Poussière des Chemins et celui-ci lui jeta un coup d’œil de biais, de l’autre côté de la route. — Je m’en fiche. Je t’ai déjà dit qu’aujourd’hui, c’est mon jour de rêverie. — Il est souvent revenu. Pour ma part, il se trouve qu’aujourd’hui c’est mon jour de réalité et j’ai l’intention d’aller mendier, dit Bolle. Il obliqua vers une ferme située sur un tertre au milieu de la plaine. Poussière des Chemins le regarda s’éloigner et ralentit le pas pour ne pas prendre trop d’avance. Il n’avait pas l’intention de changer d’avis. La veille, on lui avait lancé à la face, dans une ferme de Broddetorp, des reproches si décourageants qu’ils restaient en lui comme une plaie. Il n’avait pas voulu en parler à Bolle, car celui-ci n’avait guère l’habitude d’évoquer sur la route les blâmes qu’il avait encourus. Ils en recevaient une amère pelletée, chacun de son côté, et nul n’y échappait. Ils parcouraient maintenant la commune de Smedstorp, dans le canton de Gudhem. Le Västergötland n’est pas une mauvaise province, mais il y a partout des brebis galeuses. Pourquoi pas ici aussi ? Et il faut bien qu’il y en ait, pour que les autres puissent être tolérables. Et peut-être était-ce cela qui vous poussait à continuer à vagabonder. On sait ce qu’est la jusquiame et pourtant on ne peut jamais s’empêcher de la sentir. Il lui était même arrivé de penser que si Berget n’existait pas il n’y aurait peut-être pas autant de trimardeurs. Beaucoup ne prenaient la route que par révolte contre Berget. Et quand on avait séjourné à Berget, la dureté elle-même vous semblait douce pendant un certain temps, par comparaison. L’extrême rigueur fait passer pour un havre ce qui est seulement un peu moins dur. Mais si on le gagne en venant d’un lieu béni des dieux, on se croit vite à Hårdstena, sous la grêle des reproches. Poussière des Chemins laissa glisser le regard sur les champs et sur l’horizon, pour échapper à des pensées aussi amères. Des volées de choucas bruyants s’abattaient un peu partout sur la plaine ; difficiles de nature, ils procédaient à une sélection entre les champs. Quand l’un n’était pas à leur goût, ils s’envolaient en croassant et s’abattaient en essaims irréguliers sur le voisin, où on aurait dit qu’ils rebondissaient par bande entière pour s’en aller ailleurs. On pouvait voir à plusieurs lieues de chaque côté, surtout lorsque le chemin s’élevait, et les fermes les plus éloignées n’étaient pas plus grosses que de petites boîtes. Les choucas continuaient à voler de champ en champ. Ils régnaient souverainement sur le mouvement, la liberté et la plaine ; en un minimum de temps, ils balayaient l’horizon d’un bord à l’autre, avec leur masse volante oscillante. Quand on les croyait disparus, ils ressortaient soudain d’un vallon en forme de hamac et volaient très bas au-dessus du chemin, frôlant presque le sable, joyeux de leur audace et de leur mouvement pendulaire qui semblait croître sans cesse en ampleur. Peut-être les deux hommes étaient-ils leur unique public. Dans les champs, les paysans étaient comme empaillés par leurs calculs de terriens. Les regards circulaires inutiles n’étaient le fait que des enfants, aux yeux de qui l’utile n’était pas encore assez captivant pour les fasciner pour la vie. En contemplant ces plaines on découvrait, si on ne l’avait déjà fait, que les vagabonds étaient rares et les fermes nombreuses. Les morceaux de pain qu’ils prélevaient sur la moisson des plaines du Västergötland au cours d’une année ne représentaient même pas la millième partie des grains dévorés par les folâtres choucas. Il y avait certainement dans ces plaines des fermes qui ne recevaient pas la visite d’un seul trimardeur par an. On disait qu’il y avait soixante mille vagabonds dans le pays et ce chiffre faisait frissonner. Mais soixante mille, ce n’est pas beaucoup sur une si grande surface. La tartine de morale distribuée avec le pain était en revanche si lourde que, si l’on avait pu en faire un seul bloc de pierre, elle aurait écrasé un million d’individus, à la manière d’une meule gigantesque. On n’a jamais pu savoir si le péché est plus fort que la morale. Les choses les plus épouvantables de la terre ont été accomplies en son nom. Ce sont les monstrueux péchés de la morale. Et les grandes guerres ne sont pas des erreurs gigantesques, irréfléchies et spontanées, mais des institutions morales préméditées. Les vagabonds avaient presque toujours avec un sentiment de culpabilité. Ils portaient de village en village, comme par défi, le poids de tout le blâme qu’ils s’étaient attiré. C’était comme s’ils avaient transporté un éléphant à travers tout le pays. Et pourtant ils continuaient, bon an mal an. Il y avait là quelque chose d’énigmatique. Poussière des Chemins nourrissait de lourds sentiments de culpabilité, lui aussi, mais uniquement d’une sorte déterminée par les reproches qu’on lui adressait et fondée sur eux. C’était lourd à porter. Mais cela n’incitait pas aux remords. Cela ressemblait assez à un fardeau dont on ne pouvait se débarrasser. Qui s’attachait à vous et vous collait aux épaules, sans qu’on le prenne au sérieux. Mais il ne regrettait rien. Parfois, et même presque toujours, il arborait ce sentiment de culpabilité, la tête haute, avec une sorte d’étrange joie d’Hercule de foire. Certains jours seulement, ce fardeau était tel qu’on pouvait à peine le porter.
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