leona admina
Messages : 645 Date d'inscription : 06/03/2010
| Sujet: Joseph Conrad [Angleterre] Jeu 3 Mar - 16:44 | |
| D’où vient la puissance évocatrice d’ Au coeur des ténèbres ? De la voix de Marlow qui en fait un témoignage personnel si bien que, comme ses camarades de navigation, nous sommes pendus à ses lèvres ? De ce récit qui prend dès le départ une dimension mythologique citation:- Spoiler:
Dans la première pièce les deux femmes tricotaient fébrilement leur laine noire. Bien souvent, là-bas, je pensai à ces deux femelles gardiennes de la Porte des Ténèbres, tricotant leur laine noire comme pour un chaud suaire, l’une d’elles introduisant, introduisant indéfiniment dans l’inconnu, l’autres scrutant les visages gais et inconscients de son vieux regard indifférent ; « Ave ! Vieille tricoteuse de laine noire ! Morituri te salutant ! » Peu d’entre ceux elle regarda ainsi la revirent jamais; pas la moitié et de loin.
Au cours de cette exploration, de cette descente aux enfers, des tableaux précis et horribles du travail organisé par les puissances coloniales en Afrique. citation:- Spoiler:
Des formes noires gisaient, étaient accroupies, entre les arbres, ou assises le dos appuyé contre les troncs, s’accrochant à la terre, à demi visibles, à demi indistinctes, dans la pénombre, dans toutes les attitudes de la douleur, de l’abandon, du désespoir. Une nouvelle explosion fusa sur la falaise, suivie du frisson du sol sous mes pieds. Le travail continuait. Le travail ! Et c’était ici que certains qui y contribuaient s’étaient retirés pour mourir. citation:- Spoiler:
[...] Auprès du même arbre, deux autres tas d’articulations pointues étaient assis, les genoux remontés. L’un, le menton appuyé sur ses genoux, regardait dans le vide, avec une expression intolérable ; son fantôme jumeau appuyait son front, comme s’il était accablé par un grand épuisement.
C’est l’attente qui domine ce récit, et fait désirer à Marlow, le narrateur, de rencontrer Kurtz personnage controversé, attirant et inquiétant, méconnu par ses employeurs, et par ceux qui, comme ses disciples ou sa fiancée, tombent sous son emprise. Le narrateur lui-même garde à son sujet une réserve ambiguë, laissant au lecteur le soin de faire son propre jugement. Toujours est-il qu’il n’y a pas grande cohérence entre le discours généreux qu’il affiche - il est l’auteur d’une brochure sur la « suppression des coutumes barbares » et ses pratiques sur le terrain. Mais qui sait dans le villes européennes hypocrites ce qui se passe en Afrique ? citation:- Spoiler:
Je me retrouvai dans la ville sépulcrale, détestant le spectacle des gens se hâtant par les rues pour s’extorquer mutuellement un peu d’argent, pour dévorer leurs mets infâmes, avaler leur bière frelatée, rêver leurs rêves insignifiants. Ils interféraient sur mes pensées. C’étaient des intrus dont la connaissance de la vie n’ était à mes yeux qu’un simulacre irritant, car j’étais bien sûr qu’ils ne pouvaient savoir ce que moi je savais.
Le lecteur ne reçoit pas une leçon commentée, un message sinon que le colonialisme engendre au nom de l’argent, et sous des apparences civilisatrices, la plus cruelle des exploitations . L’interrogation dépasse ce cadre historique pour s’intéresser à l’homme lui-même : où est la barbarie ? Qu’est donc l’homme sous ce vernis de civilisation qui disparaît si rapidement, comme le montre le cas de Kurtz ? Sommes-nous capables de comprendre les derniers mots « l’ horreur ! » ou Conrad nous renvoie-t-il au jugement de Marlow sur ses contemporains : citation:- Spoiler:
Leur comportement d’individus médiocres vaquant à leurs occupations avec l’assurance d’une sécurité absolue m’offensait comme la manifestation outrageante de l’inconscience en présence du danger qu’elle est incapable de percevoir. Je n’avais nul désir de les détromper mais j’éprouvais une certaine difficulté à ne pas éclater de rire devant leurs visages si pleins d’une importance imbécile.
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