leona admina
Messages : 645 Date d'inscription : 06/03/2010
| Sujet: Gonçalo M. Tavares Mer 9 Mar - 19:34 | |
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| [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Monsieur Calvino et la promenade. (O Senhor Calvino, 2005) Traduit du portugais en 2009 par Dominique Nédellec. 86 pages. Dessins de Rachel Caiano. Viviane Hamy. Monsieur Calvino fait partie du cycle "O Bairro" - Le Quartier, que Tavares peuple de plein de personnages qui ont des noms d'écrivains ou d'artistes connus. Ce ne sont pas les vrais artistes que Tavares met en scène, "juste" des gens qui portent le même nom. Cela donne un effet assez étrange. Ces livres sont successions de petites scènes qui peuvent être poétiques, humoristiques, graphiques, étranges, absurdes, incompréhensibles.
Le livre commence par "Comme le village d'Astérix : « o bairro », un lieu où l'on tente de résister à l'entrée de la barbarie". Et on a le plan du quartier : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
On voit Borges au centre, Walser totalement excentré, Musil, Foucault, Wittgenstein, Beckett et Orwell sont voisins à l'ouest. A l'est, on a Melville, Gogol... Télérama (n°3169 du 6 octobre 2010, page 34) nous apprend que "Il y a quelques mois, près de trois cents étudiants en architecture, pilotés par une quinzaine d'enseignants de l'université Lusiada de Lisbonne, ont relevé le défi : concevoir les maquettes du Bairro de Gonçalo M. Tavares."
Mais nous sommes ici pour faire connaissance de Monsieur Calvino. Globalement, Monsieur Calvino a une relation curieuse à l'infini, ou au monde qui l'environne. Par exemple, prenons l'air. On n'y fait pas attention, à l'air. Alors, Monsieur Calvino a un truc à lui, basé sur un ballon... ainsi, il se force à faire attention à une partie de cet air.
Citation: |
"Sans cette enveloppe colorée, cet air, à présent comme souligné et se distinguant du reste de l'atmosphère, passerait totalement inaperçu. Pour Calvino, choisir la couleur du ballon revenait à attribuer une couleur à l'insignifiant. Comme s'il décidait : aujourd'hui l'insignifiant sera bleu." (page 19). |
Une des plus jolies scènes s'intitule La Fenêtre. La voici en entier :
Citation: |
"Chez Calvino, des rideaux avaient été mis à l’une des fenêtres - celle qui offrait la meilleure vue sur la rue -, rideaux que l’on pouvait boutonner, une fois tirés. Sur le rideau droit se trouvaient les boutons et sur le gauche les boutonnières correspondantes. Calvino, pour regarder cette fenêtre, devait d’abord défaire les sept boutons, l’un après l’autre. Ensuite seulement, il écartait les rideaux et pouvait regarder, contempler le monde. Ses observations terminées, il tirait les rideaux et refermait chacun des boutons. C’était une fenêtre à boutonner. Lorsqu’il voulait ouvrir la fenêtre le matin, au moment de défaire lentement les boutons, il sentait dans ses gestes la même intensité érotique que celui qui retire, avec délicatesse, mais aussi avec anxiété, le chemisier de sa bien-aimée. Aussi voyait-il la vie différemment, depuis cette fenêtre. Comme si le monde n’était pas quelque chose de disponible à tout moment, comme s’il exigeait plutôt de lui, et de ses doigts, une série de gestes minutieux. De cette fenêtre, le monde n’était pas le même. »" (pages 21-22). |
Calvino veut faire attention au monde, distinguer une partie d'infini d'une autre partie, ou du moins focaliser son attention sur une de ces parties, pour mieux la comprendre.
Dans le début d'une autre scène, L'Animal de Calvino, on lit :
Citation: |
"Le matin, Calvino allait dans la cuisine pour donner à manger au Poème. La bestiole dévorait tout : aucun aliment ne paraissait lui déplaire ni même la surprendre - et en toute chose elle semblait voir un aliment. A la fin de la journée, une fois accomplies les tâches les plus urgentes, monsieur Calvino lui caressait le poil avec la délicatesse et l'habile distraction apparente des joueurs de harpe. En de pareils moments, l'univers ralentissait sa rotation et faisait sienne l'indolence intelligente des petits félins. Donner le bain au Poème n'était pas chose aisée ; on eût dit qu'il rechignait à la propreté, exigeant sur un mode sautillant une liberté impudique que seule la saleté peut offrir." (page 26). | C'est rudement bien écrit, et il n'a pas besoin de mots compliqués ou de frime stylistique.
Si Monsieur Calvino fait des choses qui paraissent excentriques, ou même méchantes, c'est toujours dans un but louable et désintéressé. Par exemple, lorsque des gens égarés dans son quartier lui demandent son chemin, il leur donne des indications farfelues.
Citation: |
"A l'instar de quelqu'un qui a plaisir à montrer un film ou à faire lire un livre qu'il a aimés, Calvino savait que si les gens parvenaient directement à destination, sans aucun détour, ils n'auraient jamais l'occasion d'explorer ces recoins que seuls découvrent ceux qui se sont complètement fourvoyés." (page 65). |
On trouve même de la fantaisie dans la description de canalisations d'eau : "Calvino s'arrêta et regarda dans le trou : il y avait là des canalisations diverses, avec des trajectoires circulaires, mais pas seulement, comme si quelqu'un avait construit un parcours sportif pour que l'eau s'amuse un peu avant de devenir seulement utile dans les robinets." (page 69).
Il y a souvent des petits schémas pour que le lecteur comprenne mieux : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Dans une postface, Jacques Roubaud trace des parallèles avec Palomar, de Calvino (livre dans lequel on trouve : "A la suite d’une série de mésaventures qui ne méritent pas d’être rappelées, monsieur Palomar avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors."). Je ne l'ai pas lu.
Un petit livre excellent, poétique, loufoque.
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